Avec 36 000 km de littoral et 85% de sa population habitant à moins d’une heure de l’océan, il n’est pas surprenant que l’Australie ait inventé une organisation unique pour la surveillance de ses plages : le sauvetage côtier confié aux sauveteurs bénévoles des Surf Life Saving Clubs (SLSC), qui assurent la sécurité des baigneurs depuis plus d’un siècle. Ces lifesavers sont reconnaissables à leur tenue jaune et rouge et font partie intégrante du paysage estival australien.
Le Courrier Australien a voulu en savoir plus sur cette véritable institution.
Vigilance et service
Pendant la période coloniale, la baignade en journée était interdite par la loi ; à la fois pour des raisons de sécurité et des considérations morales — les costumes de bain étaient considérés comme indécents.
Ces lois sont finalement abrogées au début du XIXème siècle, lorsque la baignade se pare de vertus pour la santé et que les loisirs se développent. Les Australiens envahissent alors les plages ; malheureusement, bien peu d’entre eux savent nager et le nombre de noyades augmente rapidement. En réponse à ce problème préoccupant, des nageurs expérimentés s’organisent et fondent le Bondi’ Surf Life Saving Bathers Club en 1907 : c’est le premier club de sauvetage côtier d’Australie. Quelques mois plus tard, plusieurs clubs s’accordent pour former la Surf Bathing Association de Nouvelle-Galles du Sud. Celle-ci deviendra, en 1991, l’actuelle Surf Life Saving Australia (SLSA).
Cette association à but non lucratif dont le motto est « Vigilance et Service » vit exclusivement de donations privées et subventions publiques. Elle compte actuellement 314 clubs affiliés dans tout le pays et 170 000 membres, dont 41 000 sont actifs. Ces derniers sont tous des sauveteurs bénévoles ; d’octobre à avril, ils s’engagent par roulement pour surveiller les plages en équipe pendant les week-ends, vacances et jours fériés. Les zones surveillées sont délimitées par des drapeaux rouge et jaune : des couleurs inspirées du drapeau signalant un homme à la mer dans le code maritime international.
La pratique du surf y est interdite.
Une formation rigoureuse
On aurait tort d’assimiler une mission bénévole à une forme d’amateurisme. Au contraire : l’entraînement, à la fois théorique, pratique et physique des sauveteurs des SLSC est très poussé. Il couvre les différentes techniques de sauvetage en mer, les gestes de premier secours (y compris la réanimation cardio-pulmonaire), l’évaluation des risques, la signalétique… Pour obtenir le Bronze Medallion, la certification minimale qui lui permettra d’endosser l’habit jaune et rouge, le candidat doit aussi réussir des épreuves sportives dont l’emblématique Run-Swim-Run : 200m à la nage précédés et suivis de 200m à la course devant être complété en moins de 8 minutes — une certification que le sauveteur doit repasser chaque année.
650 000 personnes secourues
En moyenne, les sauveteurs bénévoles portent secours à une trentaine de personnes chaque jour, soit près de 11 000 sauvetages par an. On estime qu’ils ont secouru 650 000 personnes depuis la création des Surf Life Saving Clubs en 1907.
S’ils sont avant tout d’excellents nageurs, les sauveteurs s’appuient sur des accessoires facilitant leur mission. Initialement, ils utilisaient le reel, tombé depuis en désuétude : une corde enroulée à laquelle est attachée un harnais ou une ceinture qui, une fois passé au baigneur en détresse, permet de le tracter jusqu’à la côte.
Les sauveteurs actuels ont surtout recours à la bouée-tube et à la planche de sauvetage.
Ils ont également à leur disposition plusieurs types d’embarcations : les kayaks de mer, les jetskis et des bateaux pneumatiques hors bord, plus lourds, leur permettant d’affronter un océan déchaîné — qui ont remplacé les premiers surf boats, de gros canots à rames.
Bondi Rescue, la série qui oublie les sauveteurs volontaires
Il convient de distinguer ces sauveteurs bénévoles de leurs homologues professionnels, les lifeguards : ces derniers sont des sauveteurs salariés, payés par les communes ou l’état. Ils sont aussi beaucoup moins nombreux : 700 seulement dans tout le pays.
La célèbre série de télé-réalité australienne, Bondi Rescue, créée en 2006 et diffusée dans plus de 100 pays, suit les exploits quotidiens des sauveteurs professionnels de Bondi.
Ce qui n’a pas manqué, ces dernières années, de créer quelques tensions entre ces quelques « pro » érigés en héros et les dizaines de sauveteurs bénévoles du SLSC local, que la série occulte…
Le lifesaver, figure emblématique de l’identité australienne
Après le bushman (pionnier du bush) et le digger (soldat de l’ANZAC), le lifesaver, à la fois athlétique, bronzé et altruiste, est devenu l’une des figures emblématiques de l’identité australienne. Les sauveteurs bénévoles sont d’ailleurs toujours fréquemment présents dans les annonces pour la promotion du tourisme ou de l’immigration — aux côtés des kangourous et de l’Opéra de Sydney…
En 1910 déjà, le journaliste américain Egbert Russell les qualifie de « samouraïs, oligarques (…), une caste de gladiateurs, jalousés par tous les hommes et adorés de toutes les femmes. »
Les événements tragiques du Black Sunday à Bondi, le 6 février 1938, ne font que renforcer le mythe. Ce jour-là, alors que la foule se presse sur la plage pour une rencontre sportive, trois « vagues scélérates* » emportent plus de 200 personnes au large. 80 sauveteurs volontaires se jettent à l’eau et parviennent miraculeusement à rapatrier toutes les victimes sur la plage, sauf cinq qui décèdent pendant l’intervention.
Considérées comme trop faibles pour porter l’équipement nécessaire ou pour nager dans une mer démontée, les femmes n’ont été officiellement admises dans les rangs des sauveteurs qu’en 1980. Aujourd’hui, elles constituent près de la moitié de l’effectif des sauveteurs volontaires. Elles sont même majoritaires en Tasmanie et en Territoire du Nord.
Un nouveau souffle avec les Nippers
Dans les années 60, les adhésions aux SLSC marquent le pas et les effectifs des sauveteurs diminuent. C’est dans ce contexte que la SLSA lance le programme national des Nippers — de l’argot nipper signifiant petit garçon.
Les SLSC ouvrent leurs portes aux enfants de 5 à 14 ans et leur enseignent les techniques de survie dans l’océan et les rudiments du sauvetage. Le sauvetage côtier, jusque-là exclusivement une affaire d’hommes, devient alors une activité familiale plébiscitée. On dénombre actuellement pas moins de 40 000 Nippers en activité.
Facilement identifiables à leurs tenues identiques aux couleurs vives, on les trouve tous les dimanche matin sur les plages, où ils s’entraînent… et s’affrontent lors de compétitions sportives, comme leurs aînés.
Car le sauvetage côtier est devenu au fil des ans une véritable discipline sportive qui déborde largement les frontières de l’Australie.
Le Courrier Australien vous en dit plus la semaine prochaine dans cette même rubrique.
* phénomène rare de vagues océaniques soudaines et très hautes
Karine Arguillère
Sources:
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