Invité spécial du site d’information indépendant The conversation dont il préside la branche française, Arnaud Mercier animera, à partir de ce soir, une série de conférences politiques à Melbourne, Adélaïde et Brisbane. Au programme : élections, désenchantement, mondialisation, twitter et dégagisme. Ça promet !
Votre première conférence porte sur le désenchantement politique en France, est-ce lui qui a porté Emmanuel Macron au pouvoir ?
Je crois surtout qu’Emmanuel Macron a réussi à incarner les aspirations des Français. Les études ont montré que la plupart en avaient assez des « professionnels de la politique ». Ne pas avoir d’expérience ou ne jamais avoir été élu : ces reproches adressés à Emmanuel Macron se sont transformés en atouts pour lui. J’ajouterais que beaucoup de Français jugent stérile le clivage gauche/droite et, là aussi, Emmanuel Macron a réussi à se positionner. En se déclarant ni de droite, ni de gauche – ou plutôt de droite et de gauche – il a touché juste. D’autant qu’il avait une certaine crédibilité sur le sujet, lui l’ancien banquier sensible à la justice sociale. Ce que n’a pas réussi François Bayrou, dont le parti reste historiquement lié à la droite, il l’a fait en s’accaparant, non pas une place au centre, mais une place centrale sur l’échiquier politique. Cependant, il faut noter que la campagne de Macron n’a décollé qu’après le ralliement de François Bayrou.
Marine Le Pen n’est-elle pas aussi bien placée pour incarner ce désenchantement ?
Si bien sûr. Mais le Front National est lié à deux types de désenchantement : politique et social. Le déclassement économique fait aussi partie de son fond de commerce. Les électeurs de Macron, eux, sont plus diplômés, leurs revenus sont plus élevés et ils sont plus âgés que la moyenne. Ils ont repris l’idée de « dégagisme » développée par Jean-Luc Mélenchon, mais en prenant des risques limités et sans se lancer dans des expérimentations hasardeuses. C’est un peu la « protestation tranquille » qui s’est manifestée.
Emmanuel Macron représente-t-il la même chose pour l’international, les Français de l’étranger et ceux qui vivent en France ?
Disons que ces trois « entités » ont projeté des choses différentes sur lui. Dans le monde, la campagne a été suivie de près pour une raison que j’appelle « l’effet domino ». Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, allait-on assister à un nouveau coup de semonce de la part des votants ? L’Europe, en particulier, avait des raisons de s’inquiéter. Pour les Français de l’étranger, Emmanuel Macron représente plutôt l’ouverture. Il affirme que la mondialisation est acceptable, que l’on peut vivre et réussir à l’étranger. Si son opposante avait gagné, avec le repli national associé, vous imaginez quelles auraient pu être les difficultés ou « représailles » supportées par cette communauté ? Enfin, il faut rappeler qu’en France, Emmanuel Macron a remporté 24% des suffrages exprimés au premier tour, ce qui représente moins de 20% des inscrits. En conséquence, il n’y a pas eu l’adhésion massive qu’on voudrait nous faire croire – rappelons à cet égard que certains, à gauche, n’ont voté pour lui que par calcul stratégique.
Dans ce contexte, le désenchantement d’aujourd’hui est tout relatif…
En réalité, il n’y a pas eu d’état de grâce — une vue de l’esprit à mon sens — et cette histoire des cent jours n’est pas légitime. Emmanuel Macron a simplement été plus désirable que son opposante, ou moins indésirable qu’elle. Pour autant, ses adversaires eux-mêmes l’admettent, il a réussi à incarner la fonction présidentielle abimée par ses prédécesseurs. On pourrait dire : « Il ne nous fout pas la honte ». Mais… du point de vue de l’intérieur, il y a un décalage entre le refus d’apparaître ou de bavarder de façon intempestive et l’absence d’explication et de pédagogie sur son action politique – mal vécue par les Français. Il s’en est d’ailleurs rendu compte et travaillerait à un nouveau mode de communication direct et régulier avec eux.
Au parlement, le président profite aujourd’hui d’une large majorité, n’est-ce pas le signe que les Français lui font quand même confiance ?
Pour moi, les dernières législatives rappellent ce qui s’est passé lors du passage à la « deuxième république » en Italie. Après l’opération Mains propres lancée au début des années 90, les Italiens ont complètement renouvelé leur personnel politique. Ce que j’ai dit à une journaliste il y a quelques temps, c’est qu’il y a de la place en France pour un Beppe Grillo. Elle ne m’a pas cru. Mais le résultat est là et je ne suis pas surpris. Peu importe le manque d’expérience ou l’amateurisme, certains Français ont choisi de suivre Emmanuel Macron, mais beaucoup se sont simplement abstenus d’envoyer les partis traditionnels à l’assemblée. A présent, le palais Bourbon regroupe une masse hétéroclite de députés qui ont des valeurs et des priorités différentes. La question n’est donc pas de savoir s’il y aura des dissensions, mais quand elles apparaîtront, avec la création d’un sous-groupe, voire plusieurs. Quant à l’exécutif, il risque de réserver des surprises lui aussi. Emmanuel Macron a nommé un premier ministre de droite qui n’était pas son bras droit (!) depuis des années. Il n’a pas pu imposer le directeur de cabinet qu’il souhaitait et les conseillers sont partagés entre l’Elysée et Matignon. Je ne suis pas Madame Irma, mais des tensions sont prévisibles.
Qui incarne l’opposition aujourd’hui ?
Pour ce qui est de la posture et de la mise en scène : Jean-Luc Mélenchon, certainement. Le Front National aussi, même si Marine Le Pen est sortie affaiblie de la campagne en particulier après sa prestation calamiteuse de l’entre-deux-tours (tout le monde, y compris dans son propre camp, a compris qu’elle n’avait pas moindre idée de comment sortir de l’euro, mesure prônée avec force par son parti). Pour Les Républicains, c’est une question de temps. Il sera intéressant de suivre la reconfiguration politique du parti et quel président il va se choisir. Quant au Parti Socialiste, il est mort. Franchement, quel candidat portant ses couleurs à la présidentielle peut ainsi démissionner pour créer un autre parti ? C’est du jamais vu. Les chapelles vont se multiplier. C’est tout le travail de François Mitterrand depuis le Congrès d’Epinay qui est en train d’être détricoté et il faudra du temps pour fédérer tout ça. Cinq ans, dix ans…
Ici en Australie, que peut-on tirer de cette élection ?
Pour moi, le grand sujet qui affecte le monde, c’est la recomposition du système bi-partisan autour de la mondialisation. Ce n’est plus : les royalistes contre la république, le milieu urbain contre le milieu rural, les bourgeois contre les ouvriers… Pour moi, la confrontation se fera entre société ouverte et société fermée. A ce titre, l’élection de Donald Trump est significative. Et on va voir comment l’Australie va gérer, elle aussi, son rapport à la mondialisation. Cependant, ayant moins de grandes industries que les Etats-Unis et plus de ressources naturelles exploitées sur place, elle a moins à craindre en termes de perte d’emplois et elle est bien heureuse d’exporter ses moutons dans le monde entier. Après, la question est d’ordre culturel. A-t-elle l’impression de perdre son identité en accueillant des immigrés ? Pourtant, l’Australie est une société multiculturelle ! Son évolution va être passionnante et elle m’intéresse d’autant plus que The conversation, le site d’information académique et indépendant que je préside en France (qui regroupe des enseignants et des chercheurs), a été fondé… ici-même, à Melbourne.
Valentine Sabouraud
Liste des conférences d’Arnaud Mercier
Dans le cadre des « French Australian Conversations » créées en partenariat entre l’ambassade de France en Australie, The Conversation Australia et The Conversation France. Avec le soutien des Alliances Françaises de Melbourne, Adélaïde et Brisbane, du « European Union Centre on Complex Challenges » de l’Université de Melbourne et du « Bob Hawke Prime Minister Centre » de l’Université d’Australie méridionale (UniSA).
Mardi 29 août à 6 pm : « Political disenchantment in France & the election of Emmanuel Macron » au Theater – Elisabeth Murdoch building, University of Melbourne. Infos ici.
Jeudi 31 août à 6.pm « Public debate, democracy and the role of social media. French and Australian perspectives » à l’Allan Scott Auditorium, Hawke Building, UniSA City West Campus. Infos ici.
Vendredi 1er septembre à 6.30 pm « The Macron phenomenon and contemporary French political landscape » à l’Alliance française de Brisbane, 262 Montague Road, 4101 West End. Infos ici.
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