Désindustrialisation, demande extérieure en berne, déséquilibres commerciaux : le déficit chronique du commerce extérieur français résulte autant de facteurs propres à la France que de son environnement commercial.
Le déficit est-il vraiment chronique ?
Biens et services confondus, le solde du commerce extérieur français est systématiquement négatif depuis l’année 2006, selon l’Insee.
En 2021, le déficit de la balance courante (l’addition de la balance des biens, des services et des revenus) s’est ainsi établi à 23,2 milliards d’euros.
La balance commerciale, qui synthétise les seuls échanges de biens, est quant à elle dans le rouge sans discontinuer depuis l’année 2003.
De 200 millions d’euros cette année-là, le déficit commercial a gonflé jusqu’à atteindre le record historique de 84,7 milliards d’euros, dévoilé mardi.
« La France est plutôt en excédent sur les services et en gros déficit sur les biens », résume l’économiste Isabelle Méjean.
De fait, les services ont affiché en 2021 un excédent « record » selon le ministère du Commerce extérieur, à 36,2 milliards d’euros.
La France fait-elle exception ?
Dans un rapport publié début décembre, le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou déplorait la persistance du déficit français, « alors que le commerce extérieur allemand est excédentaire de plus de 200 milliards d’euros » en moyenne.
Mais le cas allemand est « atypique », souligne Isabelle Méjean.
Premier partenaire commercial de la France, « l’Allemagne a très peu de demande intérieure, et finance donc beaucoup sa croissance sur la demande extérieure », souligne l’économiste.
Il n’empêche: au sein de l’Union européenne, les balances commerciales de l’Italie (63,6 milliards d’euros en 2020) voire de l’Espagne (-15,8 milliards) confirment la position peu enviable de la France dans les échanges de biens.
Au niveau international, la comparaison avec les États-Unis et leur solde extérieur déficitaire de 678,7 milliards de dollars en 2020 est plus réconfortante.
Pourquoi ces déficits persistants ?
« La désindustrialisation de la France a certainement participé à aggraver notre déficit commercial », relevait en janvier Guillaume Vanderheyden, sous-directeur au Commerce international de la direction générale des douanes, lors d’une table ronde au Sénat.
Selon le Haut-Commissaire au Plan, 74% des exportations françaises (en valeur) sont réalisées par le secteur industriel, pour un montant de 468 milliards d’euros de biens manufacturés en 2019.
« Malgré ces résultats, l’industrie manufacturière présente à elle seule un déficit commercial de plus de 51 milliards d’euros », écrivait en décembre François Bayrou.
Par ailleurs, la forte demande intérieure qui caractérise la France « n’a pas incité nos entreprises à aller chercher des parts de marché à l’international, en tout cas moins que nos compétiteurs », selon Pedro Novo, le directeur exécutif de Bpifrance chargé des activités d’export.
Pour autant, en 2021, « le nombre d’entreprises exportatrices dépassait son niveau d’avant-crise et atteignait un niveau record à 135.900, contre 123.000 en 2017 et 128.000 en 2019 », a insisté mardi le ministère.
Reste qu' »on exporte beaucoup vers la zone euro », note Thomas Grjebine. Or, la croissance et donc la demande extérieure y sont beaucoup moins fortes qu’aux États-Unis ou en Chine, souligne le chercheur au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
S’ajoute enfin un « problème macroéconomique », pour Isabelle Méjean. « Depuis la création de la zone euro, il y a eu une accumulation d’excédents dans le nord de la zone et de déficits dans le sud ».
« Beaucoup de pays de la zone euro ont des déficits courants vis-à-vis » de Berlin, « c’est intéressant de mettre en rapport l’excédent courant allemand et le déficit courant français ou espagnol », juge-t-elle.
Comment y remédier ?
Sans surprise, une partie de la solution aux déficits chroniques pourrait se trouver en Allemagne.
« Ce qui serait nécessaire, c’est que l’Allemagne investisse massivement pour soutenir sa demande intérieure. Ce soutien impliquerait une baisse de l’excédent commercial et une baisse des déficits commerciaux des autres pays », anticipe Isabelle Méjean.
Du côté de Paris, « il faut essayer de moins stimuler la demande que ce que font nos partenaires », explique Thomas Grjebine.
La question du prix des produits d’exportation est en revanche « secondaire » pour ce dernier.
« Ça fait des années qu’on essaie de comprendre l’accumulation de déficits français et qu’on n’arrive pas tellement à l’expliquer par les prix », confirme Isabelle Méjean.
Pas davantage que par la qualité des produits de l’Hexagone, puisque « là où la France est bonne sur le commerce extérieur, c’est sur du haut de gamme : le champagne, le vin, les cosmétiques ou le luxe », rappelle la chercheuse.
Mardi, Franck Riester a décliné la stratégie commerciale française en quatre axes : « Compétitivité, politique commerciale moins naïve, politique industrielle et accompagnement des entreprises exportatrices. »
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