Il y a des restaurants où l’on va par curiosité, pour se frotter à l’étrangeté d’un met inconnu. Croquer du wallaby ou de l’ému, puis raconter naïvement le fait d’arme à ses amis. On va à Charcoal Lane dans cet esprit… mais l’histoire qu’on en retire est toute autre.
Dans ce restaurant de Fitzroy, soutenu par Mission Australia, la cuisine est aussi une façon d’aider les jeunes Aborigènes. En apprenant les clés de la restauration avec un grand chef qui travaille les produits natifs, ils retrouvent suffisamment d’équilibre et de confiance pour se lancer dans un projet professionnel. Troy Crellin, program manager pour l’association, nous raconte l’ambition de cet établissement, unique en Australie.
Un projet social dans une banlieue hautement symbolique
« Avant tout, il faut savoir que nous ne sommes pas ici par hasard », explique-t-il. Outre la présence depuis la nuit des temps de Wurundjeri dans cette proche banlieue de Melbourne, Fitzroy est connue pour avoir attiré de nombreux Aborigènes dès les années 20. Santé, travail, logement… une grande diversité de services ont été créés ici pour aider la communauté. Et les activistes ont tenu d’innombrables réunions dans ses rues.
Le restaurant a donc pris ses aises dans une ancienne banque, un temps reconvertie en bureau pour le Victorian Aboriginal Health Service. La façade, d’une grande sobriété hormis ses portes jaune vif, cache une œuvre originale sur l’un de ses pans. Robert Young, street artiste y a réalisé, en juillet dernier, une immense fresque murale remplie de symboles aborigènes (aigle, chute d’eau, arbres…), mais aussi de références à l’histoire du quartier ou de sa propre famille. Un bus de services dentaires est notamment représenté : la maman de Robert y travaillait comme infirmière.
Créer un hub culturel, suffisamment sécurisant
Dans cet environnement local particulier, Mission Australia lance, en 2009, un programme spécifique à destination des Aborigènes les plus fragiles. Il s’agit de remettre en selle des jeunes (15-25 ans en moyenne), parfois en prise avec des problème d’alcool, de drogues ou de stress. L’idée est de leur offrir une formation dans un environnement bienveillant. « La restauration est un secteur qui offre de nombreux débouchés. En outre, il oblige à développer des compétences qui seront utiles dans d’autres activités : avoir une bonne présentation, supporter les contraintes de temps, apprendre à communiquer, être présent… tout simplement. » Les apprentis bénéficient d’un accompagnement personnalisé. Leur formation débouche sur un diplôme. En trois mois, ils ont déjà une expérience qui peut leur ouvrir des portes comme celles du Sofitel ou du Crown, partenaires du programme. En trois ans, certains deviennent sous-chefs et même leurs parents ne les reconnaissent plus.
A Charcoal Lane, l’expérience est polyvalente : en salle et en cuisine. Certains suivront cette voie, d’autres bifurqueront. Mais tous ont gagné en confiance et ils peuvent aller de l’avant. « Reprendre des études pour devenir astronaute : pourquoi pas ? » sourit Troy. Se dire que c’est possible, solliciter les bonnes universités, il y a moyen de faire des choses. Au total, près de 200 jeunes gens sont passés par le restaurant et le bouche-à-oreille entretient le réseau. « Il y a une liste d’attente, mais certains ne sont pas prêts à s’engager dans un processus contraignant. » Il faut parfois du temps pour trouver la ressource nécessaire. « Certains n’ont même pas de toit ! Dans ce cas-là, il s’agit d’abord de les aider à se loger. » L’équipe de Mission Australia est aussi là pour ça. Simplifier les démarches, accompagner, soutenir. Charcoal Lane est le cœur professionnel d’un vaste programme social.
Une cuisine de haut-vol, réalisée à partir de produits natifs
Et la cuisine dans tout ça ? Elle sert à se reconnecter ! Le chef, Greg Hampton, est professeur, horticulteur et cuisinier… une triple formation qui lui permet de travailler les ingrédients de façon exceptionnelle et de partager généreusement son savoir avec ses jeunes apprentis. Côté clients, l’expérience aussi vaut le détour. « A Charcoal Lane, on vient pour se régaler et découvrir des produits qu’on ne dégustera pas ailleurs. On fait une véritable rencontre culturelle à travers la nourriture. Les Français savent bien de quoi je parle. » Et en effet, chaque poisson, viande, baie ou épice raconte une histoire. On se laissera surprendre par une texture, une cuisson, un parfum que l’on ne connaît pas. « Nous travaillons avec des producteurs locaux – des fermiers de Healesville ou des Gippsland – et la carte évolue au gré des saisons. » Quant à la présentation, elle est ultra-soignée.
Troy Crellin, qui a goûté à tout, recommande chaudement l’ému. L’auteure de cet article a savouré la terrine truffée au chocolat avec ses plantes marines étrangement iodées qui croquent sous la dent. Une vraie surprise ! Le déjeuner est plus calme, mais l’atmosphère du soir est, paraît-il formidable. Pensez à réserver. Et pour vous mettre dans l’ambiance, écoutez donc « Charcoal Lane », la belle chanson d’Archie Roach qui a donné son nom au restaurant.
Valentine Sabouraud
Charcoal Lane 36 Gertrude St, Fitzroy VIC 3065
Ouvert tous les jours (sauf dimanche et lundi) de 12h à 15h et de 18h à 21h.
Informations ici.
Légendes photos : 1/ Charcoal Lane 2/ détail fresque de R. Young 3/ Intérieur du restaurant 4/ Chocolate truffle terrine, quandong gel, orange + lemon tea tree sorbet, pepperberry honeycomb.
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