« Cet insupportable virus vole quelque chose d’essentiel: l’accompagnement du patient qui s’en va »

Dans ce contexte de distanciation physique imposée, comment faire pour entourer un proche en fin de vie ? Nous avons interrogé Gabriel Ringlet, prêtre, professeur émérite de journalisme à l’UCL, écrivain, théologien. Il accompagne spirituellement des personnes en fin de vie.

Comment fait-on pour dire au revoir à un proche sans pouvoir le voir, l’embrasser, le toucher ?

C’est une situation particulièrement douloureuse, d’autant plus que l’esprit même des soins palliatifs, c’est la relation, la communication, le dialogue entre le patient, l’équipe soignante et les proches. Quand les contacts se réduisent, quand les proches ne peuvent plus être qu’un, celle ou celui qui est admis au chevet du patient doit se sentir “nombreux”. Cette personne doit tenter de rendre le plus présents possible tous ceux qui ne peuvent pas être là.

De quelle manière ?

Je ne sais pas si les consignes sanitaires permettent d’apporter un dessin, des photos, un objet… mais tout ce qui rend présents les proches éloignés sera très bienvenu. Je verrais bien dans la chambre un chevalet ou un mur de présence, pour que la personne qui s’en va soit entourée visuellement de la présence de tous ses proches. Pour qu’elle sente, si elle est encore lucide, que la seule personne qui est là physiquement est comme “élargie”.

Ce sont aussi des moments terribles pour les soignants des unités palliatives…

Évidemment ! Je veux insister là-dessus. Cet isolement est une souffrance collective que vit aussi l’équipe soignante condamnée à la sobriété et à la rapidité. Alors que, précisément, en fin de vie, les soins palliatifs tentent de prendre un peu plus le temps ou en tout cas de rencontrer le temps autrement. Je pense aux massages aux huiles essentielles, aux confidences, au bain… Il y a là toute une atmosphère, un confinement dans le bon sens du terme, dans une sorte de “chez soi” bien accompagné. Cela doit être extrêmement douloureux pour ces soignants, en équipe réduite et rappelée à d’autres urgences, d’être condamnés à la sobriété.

Que dire aux familles tenues éloignées des derniers moments de vie d’un papa, d’un fils, d’une sœur ?

Je n’oublie pas la très grande souffrance des proches. C’est une terrible mutilation pour eux. Dans le confinement qu’on doit observer, quelque chose d’essentiel leur est volé par cet insupportable virus : accompagner les derniers jours d’un proche. Je suggère que ces proches tenus au loin construisent quelque chose à la maison qui soit plus qu’une conversation entre personnes qui se soutiennent, que la juxtaposition de chaque personne qui dit adieu. Il s’agirait d’un petit rituel domestique de détachement. Ils pourraient, chaque jour, se donner un moment de célébration auquel les enfants peuvent être associés. On peut allumer une bougie dans le salon, lire un texte ou écouter une musique aimée par la personne. Ce sera très émouvant, peut-être plus encore que si on était tout près de la personne. Mais c’est une bonne émotion. Si la personne qui s’en va est toujours lucide, elle doit savoir qu’à la maison, là-bas, au loin, des proches pensent à elle et célèbrent quelque chose à distance. C’est une manière de donner du souffle à l’étroitesse, d’élargir la présence à distance.

Après la mort, il y a aussi les funérailles qu’en ces temps de confinement, on ne peut pas célébrer.

Je trouve cela très, très, dur. À la souffrance de ne pas pouvoir se dire adieu en direct s’ajoute cette autre souffrance de ne pas faire de célébration dans la fraternité du coude à coude. La force d’un rite, c’est son rôle de reliance. Il crée de la relation et de la communion. Les funérailles, c’est un événement privé, intime, qu’on vit en solidarité avec la famille élargie : les voisins, les collègues, les copains du foot… Cet élargissement soutient les proches, facilite le deuil et ouvre un avenir. Quand on est confiné en petit comité, à quelques personnes, la souffrance est d’autant plus grade que le tiers a disparu. Ceux qui sont proches sans faire partie de la famille introduisent un peu de distance salutaire alors que quand on se retrouve dans l’intimité d’une poignée de personnes, le même s’ajoute au même : la souffrance s’additionne et devient plus poignante.

Mais les enterrements à huis clos sont inévitables pour éviter la propagation du coronavirus.

Je suggère une piste, dans le même esprit que l’accompagnement des derniers jours : tenter de relier ce qui est dispersé. Ce que vit la poignée de proches à l’église, au centre funéraire, au cimetière, pourquoi ceux qui en temps normal seraient venus aux funérailles ne le vivraient-ils pas à distance, en solidarité ?

Les tout proches risquent de ne pas avoir le cœur à faire une belle cérémonie pour une poignée de personnes présentes ?

Je peux imaginer le découragement mais je crois qu’idéalement, ce dernier adieu, même en cercle très restreint, il faut le préparer. On ajouterait, sinon, de la réduction à la réduction. Les proches peuvent préparer un feuillet, avec textes et photos, et l’adresser à ceux qui sont obligés de rester. Je trouverais très beau que, des parents, des amis, des connaissances s’arrêtent au moment des funérailles, regardent la photo du ou de la disparue et lisent le texte choisi par les tout proches qui feraient de même en présence du défunt. C’est comme si on créait, à distance, une gerbe de solidarité. J’ajoute qu’une célébation, six mois ou un an après, sera indispensable. Encore plus que pour une cérémonie du souvenir. Il faudra qu’alors, les amis se mobilisent et osent se déplacer : le soutien et la sympathie seront encore plus nécessaires.

Annick Hovine

 


Source : La Libre Belgique

Véritable vecteur de l’actualité belge, internationale, politique, économique, culturelle, La Libre Belgique offre un regard différent sur l’actualité et propose de nombreux dossiers spéciaux, des analyses, reportages, opinions…


N’oubliez pas de nous suivre sur Facebook et Instagram, et de vous abonner gratuitement à notre newsletter

RELATED POSTS

Posts

Article suivant

Discussion à ce sujet post

Soutenez la Rédaction et Accédez au Contenu Premium

Découvrez ici tous les avantages d’un abonnement au Courrier Australien. Accédez à notre offre Premium et déverrouillez tout le contenu pour un accès illimité.

Premium

Devenez un contributeur !

Participez au contenu du Courrier Australien, en nous proposant un article.

Bienvenue !

Connectez-vous à votre compte ci-dessous

Créer un nouveau compte !

Remplissez les formulaires ci-dessous pour vous inscrire

Récupérer votre mot de passe

Veuillez saisir votre nom d'utilisateur ou votre adresse électronique pour réinitialiser votre mot de passe.

Êtes-vous sûr de vouloir déverrouiller ce poste ?
Déverrouiller à gauche : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?