Invité exceptionnel de l’Alliance Française French Film Festival, Laurent Lafitte s’est posé à Melbourne pour discuter avec Le Courrier Australien. Moins dandy (le jour de cet entretien) que le lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle qu’il campe dans le film multi-césarisé d’Albert Dupontel, l’acteur dégage cependant le même charme magnétique… la bienveillance en plus.
Dans une interview, vous avez dit que vous aviez « hélas » lu le livre de Lemaitre avant de recevoir le scénario. Selon vous, les adaptations ne sont jamais réussies ?
C’est très difficile. Ce qu’on ressent en lisant un livre est tellement intime que la proposition subjective d’un réalisateur est souvent loin de ce qu’on avait imaginé. En outre, le roman « fleuve » de Lemaitre est tellement dense qu’il fallait forcément renoncer à certains éléments : lesquels, comment ? Dans son scénario, Albert Dupontel a réussi le tour de force d’en conserver l’ADN.
Avez-vous déjà été enthousiasmé par l’adaptation d’un roman au cinéma ?
The Hours de Stephen Daldry (à partir de l’oeuvre de Michael Cunningham), a été une réussite. Il y a quelques années, j’ai aussi été agréablement surpris par Hamlet de Kenneth Branagh. Je n’ai pas d’autres films qui me viennent comme ça, spontanément… En revanche, ce qui se fait davantage aujourd’hui, et qui marche, c’est l’adaptation de films au théâtre : Les Damnés de Visconti ou même La Règle du jeu de Renoir (en ce moment à La Comédie-Française avec Laurent Lafitte, justement NDLR).
Comment avez-vous été approché pour le rôle d’Aulnay-Pradelle ?
Je n’ai pas reçu le scénario par La Poste, car Albert Dupontel ne voulait pas que ce dernier circule. Tout le monde savait qu’il travaillait sur cette adaptation, mais avec un million d’exemplaires du livre vendus, la reconnaissance du Goncourt… il craignait les fuites. Du coup, le projet est resté top secret pendant longtemps. On m’a invité et on m’a donné le scénario à lire d’une traite avant de le rendre.
Ce projet, vous l’avez jugé particulièrement ambitieux ?
Il ne faut pas confondre ambitieux et spectaculaire. Pour moi, Albert Dupontel a toujours été ambitieux dans son travail. En tant que réalisateur, il a traité de sujets complexes avec des personnages bizarres dans des atmosphères spéciales, cela dès Bernie. L’aventure proposée ici était certes gigantesque du fait de la reconstitution historique, mais c’est la patte du cinéaste qui était importante pour moi. C’est pour le cinéaste que j’ai eu envie de participer à Au revoir là-haut.
Tourner dans un film d’époque : une aventure particulière ?
C’était assez troublant, oui. Les décors, les costumes et surtout… les scènes dans les tranchées, dans la boue, la chaleur et le bruit. J’ai vécu une espèce d’évocation sensorielle de ce qu’a pu être la vie des poilus pendant la guerre, même si c’est à une échelle d’un millionième de la réalité.
Votre famille a combattu ?
Oui, mes aïeux ont fait la guerre, comme c’est le cas dans la plupart des familles françaises. Mais j’ai personnellement un rapport particulier au sujet. Je suis un anti-militariste dans un monde où l’armée reste, selon moi, un mal nécessaire. C’est comme la notion de héros. A mon sens, dans une guerre, il n’y a que des victimes. Simplement, certaines d’entre elles se sont comportées de façon héroïque.
Vous dites avoir trouvé ce rôle de méchant jubilatoire, les gentils sont donc toujours ennuyeux ?
Je ne fais pas de différence entre bons et méchants. Il y a des individus qui, face à une même situation, réagissent de manière différente. J’essaie de comprendre leurs motivations et de donner corps à ce qu’ils sont, sans les juger. Albert Dupontel avait demandé expressément que mon rôle soit celui d’un salopard qu’on aime détester – pas d’un salopard qu’on déteste comme Amon Göth dans La liste de Schindler. Effectivement, Henri d’Aulnay-Pradelle est théâtral, c’est un dandy qui a conscience de ce qu’il dégage et de ce qu’il peut imposer aux autres. C’est aussi lui qui impulse un ressort comique au film.
Après le conservatoire, vous avez parfait votre formation en Angleterre… est-ce que l’approche du métier d’acteur y est très différente ?
En Angleterre, l’approche est davantage pluridisciplinaire : on apprend à devenir un outil capable de travailler plusieurs répertoires. En France, la formation reste très cérébrale, intellectuelle et même politique. On valorise aussi beaucoup les auteurs.
Vous parlez anglais parfaitement… vous seriez tenté par une carrière internationale ?
J’ai déjà joué en anglais dans The love punch (avec Pierce Brosnan et Emma Thomson) et Birdsong, une série anglaise (avec Eddy Redmayne et Clémence Poésy), mais il n’y a pas beaucoup d’opportunités. Parmi les Français, il n’y a guère que Marion Cotillard qui a réussi percer internationalement. Non, moi, ce qui m’intéresse c’est de jouer de beaux personnages avec de grands metteurs en scène. En puis, je n’idéalise plus le cinéma américain comme avant, je crois que l’industrie a déplacé sa créativité vers les séries. Cela dit, les Etats-Unis restent une grande nation de cinéma. Celui-ci a d’ailleurs contribué à fondé la mythologie du pays.
Des films ou acteurs australiens qui vous parlent ?
Cate Blanchett bien sûr, une immense actrice. Je l’ai beaucoup aimée dans Blue Jasmine. Sinon, dans les films : pas Crocodile dandy, plutôt Muriel avec Toni Collette – j’aime aussi beaucoup Toni Collette – ou Priscilla… un film difficile à raconter.
Vous dansez, vous chantez… qu’est-ce que vous ne savez pas faire ?
J’ai pris des cours de danse, mais je ne danse pas. Je ne pourrais faire un saut carpé par exemple. Je chante oui, c’est vrai, et sur les tournages j’essaie de faire le maximum. Généralement, il vaut mieux m’arrêter que me pousser. Je ne fais pas ça pour le fun, mais pour la réalité du personnage. C’est comme avoir le bon costume ou le bon partenaire… ça vous aide à être juste. Cela m’a toutefois causé une grosse frayeur à la fin du tournage de Au-revoir là-haut, mais je ne veux pas dévoiler le dénouement.
Vous avez fait un one-man show, aujourd’hui vous êtes davantage une star de cinéma : cela change-t-il votre rapport au public ?
Attention : je suis quand même sur scène cent soirs par an au théâtre ! Je ne peux d’ailleurs pas m’en passer. Préférer le cinéma, ce serait comme être un chanteur qui ne voudrait qu’enregistrer en studio. Je suis donc toujours au contact du public. Simplement, mes rapports avec lui changent en fonction des pièces dans lesquelles je joue.
Vos projets ?
La réalisation. Je vais tourner l’adaptation d’une pièce de théâtre une comédie), mais le scénario est encore en cours d’écriture. Le casting n’est pas fait, mais le tournage est prévu au premier semestre 2019. Sinon, à la fin du mois, je commence le tournage de la suite des Petits Mouchoirs de Guillaume Canet. 9 ans après, tout le monde se retrouve.
Réussir une suite c’est possible ?
Oui, mais l’écriture doit être excellente. Finalement, le travail le plus difficile est pour les auteurs, pas les acteurs.
Propos recueillis par Valentine Sabouraud
Légendes photo : 1/ L. Lafitte 2/ livre The Hours 3/ A. Dupontel dans Au revoir là-haut 4/ Affiche de Muriel 5/ Affiche de La Règle du jeu de la Comédie-Française.
Les 5 films préférés de Laurent Lafitte à l’Alliance Français French Film Festival : Au revoir là-haut (de façon objective), 120 battements par minute, Barbara, Rock’n Roll, Jusqu’à la garde et Jalouse (pour Karine Viard). |
Laurent Lafitte répondra à vos questions :
> au Como ce dimanche 11 mars à Melbourne, réservations ici.
> au Cinema Paradiso le 15 mars à Perth, réservations là.
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