Aujourd’hui je vais vous parler d’un livre un peu lunaire, un OVNI littéraire comme il n’en existe pas beaucoup. C’est génialement beau, c’est miraculeusement triste et ça s’appelle « AFLAME », ce qui veut dire « en flammes » en français dans le texte. C’est un petit livre énigmatique au possible, avec d’abord de la prose poétique en guise de prélude, puis avec des poèmes plus traditionnels, en quatrain pour certains.
Son auteur ? Subhash Jaireth. Il est né dans le Pendjab, en Inde. Entre 1969 et 1978, il a passé neuf ans en Russie à étudier la géologie et la littérature russe. En 1986, il a émigré en Australie. Il a publié des poèmes en hindi, en anglais et en russe. Il a également publié des traductions en anglais de poésie russe, japonaise et persane, et a traduit des poèmes de poètes autochtones australiens en hindi. Et quand il n’écrit pas, il fait des études… beaucoup d’études… il faut quand même préciser qu’il a obtenu un master de géologie appliquée en Russie, puis un PhD en géologie dans les années 70 et 80, et un PhD en langue et littérature russe à ANU, la meilleure université en Australie dans les années 90. Un intellectuel donc !
Mais revenons à AFLAME – un livre de poésie – normalement on lit la 4ème de couv, on ne peut pas le faire cette fois pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas… il n’y a pas non plus de numéros de page, ni de mention « poésie » sur la 1ère de couv ou même ailleurs… la faute – ou plutôt le crédit ! – au minimalisme de la collection poétique chez Gazebo Books qui est une petite maison d’édition de qualité basée à Sydney et dont le patron est Xavier Hennekinne auquel je passe le bonjour – la collection en question s’appelle Life Before Man.
Que vous dire de AFLAME, donc ? Je vais tenter de partager avec vous un peu de cette « tristesse joyeuse » dont le livre se fait selon moi la figure de proue. Tristesse parce qu’il y est question de flammes, de brûlures, au sens propre comme au sens figuré. Ça a resonné en moi car c’est bien en phase avec le monde d’aujourd’hui, le changement climatique, les terribles feux d’Hawaï, et les bushfires d’Australie en 2019-2020, juste avant le COVID.
Tristesse aussi parce qu’il y est question de perte, de fuite, de départ. Je vous lis une phrase qui est illico rentrée dans mon panthéon des phrases sonnant le plus juste : “Each time we part, we part forever; something of us never returns or whatever returns appears estranged”.
Tristesse enfin, parce que rempli de nostalgie, comme tout bon recueil de poésie sujet aux influences slaves ou même allemandes. Pensez à Goethe et à sa nostalgie de la lumière, aux poètes russes qui tentent de s’arracher à la nostalgie pour commémorer ceux qui ont plus mal qu’eux. Je pense aux poètes de « l’âge d’or » (Pouchkine, Lermontov…), et surtout aux poètes de « l’âge d’argent » (les Blok, Biély, Akhmatova, Tsvétaïéva, Mandelstam, Pasternak).
Voilà une phrase nostalgique du livre par excellence : “I sit near the window and watch the world outside unfurled like a kite that I was once able to catch and write into a poem”.
Mais cette tristesse lancinante est aussi joyeuse, avec des nuées, des éclairs, des traces de lumière. Comme avec cette phrase, magnifique elle aussi : “This was our last walk together; a walk that’s going to replace all other walks I had with her”. Joyeuse aussi, car la tristesse est survolée par les oiseaux exotiques d’Australie, les Lorikeets, les Cockatoos, les Galahs, survolant les Banksias. Tout ça donne une once d’espoir, un élan de légèreté à l’ensemble.
Au final, il règne dans ce livre une atmosphère particulière. C’est mystérieux et déroutant. Ça prend un peu de temps pour se mettre dans le sens du livre, dans la trame de la poésie de la vie… mais une fois que l’on y est, la poésie de Subhash Jaireth est pareille à un coussin, on s’y délasse, c’est agréable. C’est également beau ; on y voit la beauté du monde et de la vie.
Pas sûr du tout que je me souvienne de quelque chose en particulier d’ici à la fin de ma lecture de ce livre pourtant singulier et poignant… seulement l’impression diffuse d’avoir libéré mes sens et d’avoir vécu quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant.
Pour toutes ces raisons – et pour avoir la joie de découvrir un auteur, je vous recommande AFLAME de Subhash Jaireth, paru chez Gazebo Books et disponible sur le site de l’éditeur.
Olivier Vojetta – auteur, critique littéraire, modérateur culturel (Philo Bistro de l’Alliance Française de Sydney)
https://www.oliviervojetta.com/
https://www.afsydney.com.au/whats-on/philo-bistro/
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