En 2014, l’Art Gallery of South Australian acquiert pour 4,5 millions de dollars la Prairie à Eragny du peintre impressionniste Camille Pissaro, grâce notamment à la contribution de nombreux donateurs privés. Cette passion australienne pour ce courant d’art majeur se révèle une fois encore avec l’exposition « Colours of impressionism », visible jusqu’au 28 juillet prochain à Adélaïde. Tony Magnusson, l’un des commissaires d’art du musée, nous la présente.
Qui a eu l’idée de cette exposition ?
C’est Nick Mitzevith notre directeur, qui a voulu capitaliser sur l’incroyable élan cristallisé autour de l’achat du Pissaro en 2014. Nous avons constaté une fascination et un intérêt très fort pour les impressionnistes. Ensuite, nous avons travaillé avec Art Exhibition Australia ainsi que le Musée d’Orsay – avec Marine Kisiel et Paul Perrin.
Pourquoi ce choix d’une thématique sur la couleur ?
Parce que les impressionnistes en ont fait un usage radicalement nouveau et même choquant à l’époque. Quel chemin depuis les précurseurs Courbet, Delacroix, Boudin et Jongkind. Il faut savoir qu’en ce temps-là, on travaillait encore en studio pour réaliser de grandes toiles en traitant de sujets historiques ou mythologiques. Non seulement les impressionnistes sont sortis des ateliers et ont fait évoluer les sujets, mais ils utilisaient aussi les pigments purs ou simplement associés à du blanc, ce qui était extrêmement inhabituel. Ils faisaient aussi des associations chromatiques nouvelles en combinant des couleurs complémentaires.
Les impressionnistes ont aussi vécu à une période de grands bouleversements techniques et technologiques…
Oui, absolument. Outre la peinture qui est désormais commercialisée en tubes (depuis 1841 ndlr.) et la généralisation de sièges portatifs ou de chevalets légers – ce qui change tout en termes de logistique – les peintres sont influencés par de nombreuses innovations. D’abord, il y a eu l’arrivé des appareils photographiques et des caméras… il y avait donc de la concurrence en matière d’image : il faut trouver une autre façon de représenter la réalité. C’est aussi la période où Paris change architecturalement grâce aux travaux lancés par Haussmann. Tout cela crée un environnement qui va influencer le travail de ces peintres.
Les visiteurs verront donc des paysages, des scènes urbaines, des moments de la vie quotidienne…
Oui absolument, des personnages en train de lire, de se reposer, de boire un verre dans un bar – ce qui est nouveau – tout cela organisé par couleur. Nous avons une salle noire pour les tons sombres, puis une blanche avec, entre autres, les paysages de neige. Une autre est consacrée à la lumière avec beaucoup de tableaux peints en extérieur. Nous dédions une salle aux bleus et verts avec de vastes ciels et des champs ; les tableaux impressionnistes les plus connus sont dans ces tonalités-là. Enfin, nous nous attardons sur les néo-impressionnistes (Seurat, Lignac…) et les héritiers comme Morisot ou Renoir. Au total, nous présentons 66 œuvres du Musée d’Orsay et trois qui appartiennent à notre propre collection.
Parmi toutes les œuvres présentées, y en a-t-il une que vous aimez particulièrement, La pie de Claude Monet par exemple ?
Je pourrais peut-être en évoquer une par salle, mais c’est vraiment trop difficile. Cependant, il est exact que La pie (Magpie) est un tableau qui ne ressemble à aucun autre. Il a été peint durant un hiver très froid à Etretat, Monet avait des soucis financiers et il venait de faire un tentative de suicide en se jetant dans la Seine. Pour peindre, il portait trois manteaux et des gants, il se réchauffait sur un petit brasero. Le tableau, dont nous sommes presque sûrs qu’il est de ceux qui ont été rejetés par le Salon*, représentait les ombres en bleu et violet. Un véritable outrage ! A part Courbet, PERSONNE ne peignait les ombres en bleu et en violet. Mais lorsque vous vous concentrez sur ce que l’œil voit, avec les reflets de la lumière naturelle sur la neige, vous pouvez apercevoir de subtils changements de couleur dans les ombres. C’est cela que Claude Monet a tenté de capter. Evidemment, son travail n’entrait pas dans les conventions d’alors. Oui, La pie est vraiment dans mon top 10 de l’exposition.
Les peintres australiens ont-ils été influencés par le mouvement ?
Naturellement. Le pays a d’ailleurs consacré de grandes expositions aux impressionnistes australiens : Tom Roberts, Charles Douglas Richardson, Charles Conder ou Arthur Streeton. Certains d’entre eux ont voyagé jusqu’en Europe où ils ont côtoyé leurs pairs. De façon générale, je crois que ce mouvement pictural a influencé toutes les générations qui ont suivi, les fauves ou les cubistes. Même les peintres plus contemporains.
Cette exposition, à l’heure où un rapprochement très fort se fait entre Adélaïde et Cherbourg, est-elle un choix politique ?
Je crois naturellement en la diplomatie culturelle, mais nous avons déjà organisé de grandes expositions « françaises » : Fashion Icons avec le Musée des Arts Décoratifs et Versus Rodin – je souligne au passage que nous possédons la plus grande collection de bronzes de l’hémisphère sud. Celle-ci, sur les impressionnistes, est donc la troisième… en attendant de nombreuses autres j’espère.
Propos recueillis par Valentine Sabouraud
Colours of impressionism du 29 mars au 29 juillet 2018 – Art Gallery of South Australia, North Terrace, Adelaide – Ouvert tous les jours de 10h à 17h. Infos ici.
* Salon de présentation des œuvres des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture (créée en 1648). L’art officiel a longtemps prévalu en son sein, sélectionné par un jury dont la constitution a souvent fait débat. Les œuvres soumises étaient acceptées ou refusées – à l’aide d’un R apposé au dos de la toile. En 1863, un Salon des refusés est organisé en marge de l’événement officiel – le fameux « Déjeuner sur l’herbe de Manet » y est exposé, il fait scandale à l’époque.
Légendes photos : 1/ Tony Magnusson par Nat Rogers 2/ Camille Pissarro, France, 1830-1903, Allée de la Tour-du-Jongleur et maison de M. Musy, Louveciennes, c. 1872, huile sur toile, 52 x 81 cm, Musée d’Orsay, Paris, France ©photo Musée d’Orsay / rmn 3/ Claude Monet, France, 1840-1926, La pie, 1868-1869, huile sur toile, 121.4 x 164.1 cm; Musée d’Orsay, Paris, France, ©photo Musée d’Orsay / rmn – 4/ A break away ! 1891, huile sur toile 137.3 (h) x 167.8 (w) cm signed l.l., ‘Tom Roberts’ Art Gallery of South Australia
N’oubliez pas de nous suivre sur Facebook et Instagram, et de vous abonner gratuitement à notre newsletter. Des idées, des commentaires ? Une coquille ou une inexactitude dans l’article ? Contactez-nous à l’adresse redaction@lecourrieraustralien.com
Discussion à ce sujet post