Au travers d’une série de portraits, le Courrier Australien vous propose de revenir sur le parcours de plusieurs des gagnants des 2024 French-Australian Excellence Awards. D’origine strasbourgeoise, Quentin Zerr a fait ses gammes aux côtés de grands noms de la pâtisserie, comme Cédric Grolet, avant de faire le grand saut en Australie et d’ouvrir sa propre boutique à Sydney.
Il est des passions dont on sait qu’elles façonneront notre vie. Pour Quentin Zerr, la pâtisserie en fait partie intégrante. Éduqué pourtant loin des milieux reconnus du métier, ce français de 32 ans n’a cessé de se lancer de nouveaux défis, lui permettant de gravir les échelons et de pratiquer aujourd’hui son art dans un environnement où la pâtisserie reste encore à l’état de culture naissante.
Premiers pas en France
“Tout ce qui était lié au monde de la restauration et des grands chefs, ça ne me parlait pas du tout. Je ne savais même pas ce qu’était un Palace ! Ce qui m’intéressait le plus, c’était de créer”.
Après avoir découvert le métier au côté de son parrain perçu comme un “modèle” à ses yeux, Quentin Zerr n’a pas attendu longtemps pour se plonger dans ce monde si nouveau, et pourtant déjà familier. “En troisième, il a fallu s’orienter”, explique-t-il. “Et n’ayant pourtant jamais vraiment fait de gâteau avant, je savais que j’allais aimer ça. Tout ce qui était lié aux couleurs, à l’aspect visuel du gâteau, ça m’intéressait déjà beaucoup”.
Il complète donc ses diplômes de CAP pâtisserie, chocolaterie et confiserie, et obtient au passage un brevet technique des métiers, lui permettant de se lancer en alternance dans un petit magasin à quelques kilomètres de sa ville natale de Strasbourg. Mais vite, la capitale l’appelle : “au bout de cinq ans et demi, j’avais envie de découvrir la pâtisserie de restauration. Pour en apprendre plus, avoir la technique, et grandir plus vite, je devais aller à Paris”.
Le voilà alors au Meurice, sous les ordres du renommé Cédric Grolet. Mais là encore, le sentiment de vouloir évoluer dans un milieu pourtant “assez fermé”, avoue Quentin Zerr, le pousse à aller voir ailleurs. Peu réticent aux nouveaux challenges, c’est cette fois-ci de l’autre côté de la planète que se dresse la prochaine étape de sa carrière.
“Après Strasbourg, c’était Paris, et après Paris, l’Australie ! En deux mois et demi, j’ai démissionné et je suis parti”.
“Je n’avais pas de boulot ni de logement”
“L’Australie, c’est un pays dont on parlait beaucoup avec les collègues en cuisine, et ça m’intéressait”, détaille Quentin Zerr. “J’étais encore jeune, j’avais un peu d’argent de côté, et rien ne me retenait. Je me suis donc dit que c’était peut être le moment d’utiliser mon bagage et de faire un truc de dingue !”
Pour quelqu’un qui n’avait encore “jamais pris l’avion”, avoue-t-il, cette décision constitue un tournant dans sa carrière : “je suis parti avec rien. À mon arrivée, je n’avais pas de boulot ni de logement”.
Pourtant, l’expérience accumulée en France lui permet de facilement retrouver du travail dans son domaine de prédilection. “Avec mon Visa Vacances-Travail (Working Holiday Visa), j’ai pu rester six mois à l’InterContinental de Sydney” détaille Quentin Zerr. “Au bout de deux mois, ils m’ont proposé un visa d’un an que j’ai payé, j’ai donc pu peaufiner mon anglais et poursuivre mon expérience. Puis en fin d’année, ils m’ont sponsorisé”.
Là encore, tout est allé très vite. Montant jusqu’à junior sous-chef, lui octroyant une position de manager, Quentin Zerr devient rapidement sous-chef, “un poste relativement haut”, explique-t-il. En 2022, il est nommé chef pâtissier de l’année dans le cadre du Tourism Accommodation Australia NSW Awards for Excellence.
Transférant ensuite son sponsorship au Four Seasons Hotel de Sydney, où il devient en un an et demi chef pâtissier de l’hôtel, le jeune pâtissier devenu expérimenté ne voulait pas s’arrêter là. “Je ne me voyais pas rester toute ma carrière dans cet hôtel”, avoue Quentin Zerr. « J’avais un rêve, ouvrir une boutique”.
Le projet d’une vie
Là encore, le schéma reste le même : “lorsque j’ai démissionné du Four Seasons, je n’avais rien de prévu, je savais juste ce que je voulais. J’avais déjà quelques connaissances et une certaine notoriété sur les réseaux sociaux, je savais que ça allait m’être utile”.
En novembre dernier, Quentin Zerr ouvre sa propre boutique sur Sydney. Un lieu où, par l’intermédiaire d’un système de “click and collect”, les clients peuvent récupérer leurs commandes fraîches et terminées proche du moment où ils viennent les chercher. “Une manière de leur faciliter la vie”, estime-t-il.
De la recherche du packaging et du logo, en passant par la confection des recettes et la négociation d’un local, “il faut s’accrocher”, admet le jeune pâtissier. “Surtout dans un pays où les aides et la manière de monter sa boîte sont différentes”.
Entre son pays natal et l’Australie, le jeune homme reste en effet lucide sur l’écart dans la perception et la pratique de son métier : “en France, c’est une profession qui ne cesse d’évoluer. Ici, la formation n’est pas aussi détaillée et poussée, l’Australie est très en retard dans les domaines de l’apprentissage et des métiers manuels. Peu de personnes se lancent dans la pâtisserie et il n’y a pas la même culture qu’en France, mais je sais que la demande sera toujours là quoi qu’il arrive”, explique-t-il.
Une différence structurelle que Quentin Zerr a acquis durant sa carrière de chef dans la pâtisserie de restauration : “En tant qu’étranger venant en Australie, on ne peut pas dire à un Australien quoi faire”, confie-t-il. “On doit s’adapter à cette culture et suivre le mouvement. Il faut toujours écouter et ne jamais penser que l’on sait tout”.
Une place à prendre
“Le but n’est pas de calquer ce que j’ai pu faire en France, mais de pouvoir me faire une place dans un milieu qui n’est pas assez développé pour le moment”.
Quentin Zerr se donne donc un an pour lancer son projet, intitulée “Qollection”, et pérenniser le projet à long terme : “je suis déjà assez connu dans la communauté française”, explique-t-il. “L’idée serait de se faire un nom dans la communauté en générale, d’abord à Sydney”.
Dans un pays où la culture a plus tendance à préférer “l’avocado toast” à l’éclair au chocolat, le pâtissier sait qu’il ne sera pas aussi simple de réussir, mais voit cependant un nouveau phénomène se dessiner : “on est en 2025 et je pense qu’il y a une petite niche à se faire. Il y a pas mal de boulangers qui ouvrent en Australie et depuis le Covid-19, il y a eu un développement et une tendance autour des viennoiseries”, détaille Quentin Zerr. “Je pense que la suite, c’est les gâteaux”.
Il mise aussi sur l’aspect générationnel, avec une jeunesse plus encline à s’intéresser à ce genre de produits. “Les jeunes ont par exemple plus tendance à se diriger vers de la pâtisserie moderne et stylisée car c’est ce qu’ils ont vu sur les réseaux sociaux”, confie-t-il.
Le jeune entrepreneur veut donc centrer son activité sur des créations au style “luxueux”, se démarquant ainsi de ce qui se fait déjà sur le marché et mettant ainsi la barrière “un peu plus haute”, annonce-t-il. “Le nom ‘Qollection’, je l’ai pensé comme des collections de mode, avec une dizaine de gâteaux signatures qui sont tout le temps disponibles à la carte, mais aussi avec des dérivés temporaires et des produits exclusifs qui vont continuellement se renouveler, pour jouer sur le côté ‘édition limitée’”.
“Le but est de transformer la curiosité des gens pour qu’ils reviennent”, explique Quentin Zerr. “Donc il faut tout de suite qu’ils soient impressionnés en termes de goût, d’odeur, de visuel, même dans le packaging”.
Le jeune homme reste prudent sur le développement de ce projet, mais n’hésite pas non plus à réfléchir à la suite : “en fonction de comment le business va évoluer et de mes moyens, j’aimerais rester ici et utiliser l’espace vacant pour faire une zone d’exposition ou de dégustation”.
Récompensé aux French-Australian Excellence Awards
Fin 2024, Quentin Zerr remporte les 2024 French-Australian Excellence Awards dans la catégorie “Culinary & Gastronomy”. Un prix qui ponctue une année déjà riche en changements et accomplissements. “Je ne m’y attendais vraiment pas !”, avoue-t-il. “Quand j’ai obtenu l’award, ça faisait même pas une semaine que j’avais ouvert, donc c’est une grosse source d’encouragement et de motivation”.
“Le fait d’être reconnu au sein de la communauté française et de se sentir ‘franco-australien’, c’est un aboutissement de tout le travail fourni. C’est aussi là qu’on se rend compte que la communauté française est très forte ici, je suis très reconnaissant. Je tiens également à remercier le Courrier Australien pour tout le travail réalisé au service de la communauté française en Australie”.
Une longue carrière attend encore Quentin Zerr, pour qui la recette de la réussite repose toujours sur les mêmes principes : “il faut oser, n’avoir peur de rien, s’entourer des bonnes personnes et de celles qui ont déjà osé le faire”, juge-t-il. “Tout arrive au bon endroit et au bon moment, mais seulement si on le veut. Il faut aller chercher sa chance, pas attendre que ça nous tombe dessus”.
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