C’est assez rare de rencontrer des individus dans la bienveillance pure, et l’écoute attentive, pour lesquels une discussion est davantage un échange qu’un monologue. Olivier Vojetta est de ceux-là. Ancien consultant puis trader, désormais banquier à temps partiel et écrivain, ce Nancéein a vécu une seconde naissance en s’installant à Sydney avec sa compagne il y a 9 ans. Son dernier roman, Courir encore, aborde, lui, le thème d’une naissance qui n’a jamais eu lieu, celle d’Hippo, mort dans le ventre de sa mère, et la douleur du père soigneusement dissimulée derrière son masque social. Avec Olivier, nous avons parlé fuite du réel, isolement, frénésie de l’écriture, et rôle de l’écrivain.
Il semble écrire comme il respire. Au téléphone, Olivier nous raconte cette obsession de l’écriture, qui le suit à chaque instant, entre deux e-mails, à la pause déjeuner, ou en pleine nuit lorsque le monde dort. Elle en vient même à le réveiller pour qu’il aille griffonner dans son carnet dédié aux illuminations des heures muettes. Cette effervescence des lettres, il la connaît depuis longtemps : à 12 ans, il se voyait refuser son manuscrit pour la première fois. Les distractions adolescentes le font ensuite oublier ses carnets…avant que ces derniers ne soient noircis de plus belle à l’aube de sa vie professionnelle. Depuis, il n’a pas cessé d’écrire.
Pourtant, ce n’est pas la voie d’un écrivain à temps plein qu’il a empruntée, mais celle d’un consultant en management qui écrit dans les chambres d’hôtels de luxe pendant ses voyages d’affaires, puis d’un trader à Londres qui manie les chiffres le jour et les lettres la nuit. Olivier l’affirme : travailler dans la finance, gagner de l’argent, c’était avant tout une revanche sociale, un transfuge de classe. « Ma mère n’avait pas beaucoup de revenus, elle nous répétait sans cesse qu’il fallait qu’on ait un bon travail et qu’on se marie » raconte-t-il. Alors, tout en travaillant, il donne naissance à ses deux premiers romans, En famille (2004) et Conquêtes inutiles (2009) qu’il publient sous un pseudonyme, et rencontre sa future épouse, Maria avec laquelle il s’expatriera en Australie.
Quelques nouvelles et deux ouvrages plus tard naît Courir encore, sorti cette année, en mars. Un livre signé de son vrai nom cette fois, dans lequel la frénésie avec laquelle il assemble les mots transparaît page après page. Les phrases sont longues mais pressées, entrecoupées de quelques virgules de temps à autre, le rythme est effréné. On se sent essoufflé, nos yeux virevoltent de droite à gauche, et pourtant les pages continuent de défiler. Comme pour un marathon, notre corps continue en pilote automatique tandis que les idées fusent dans tous les sens. On nous presse, mais ça vaut le coup.
David, le narrateur, nous invite dans ses pensées les mieux dissimulées du monde extérieur. Il songe à Hippo, son fils qu’il a tant désiré mais qui n’est jamais né, ce « raton » qu’il n’a jamais pris dans ses bras mais dont le manque lui transperce le cœur. De ce cœur, justement, qui dès qu’il a arrêté de battre a enveloppé celui de son père d’un brouillard constant. Pourtant, la vie doit continuer, la course doit reprendre, les masques doivent être maniés à la perfection et personne ne doit savoir. Alors, il fait semblant de sourire, tout en se rendant à un marathon organisé pour soutenir les parents d’enfants morts avant la naissance, catégorie à laquelle personne ne sait qu’il appartient.
Le texte est si intime qu’il est difficile d’imaginer qu’il n’est pas tiré de faits réels. « Je commence en effet souvent par m’inspirer du réel pour le transformer en fiction. Avec Courir encore, j’ai été plus honnête, je suis allé au bout des choses. Quand je l’ai écrit, j’écoutais Gymnopédies d’Erik Satie. J’étais comme en transe, ce livre est quasiment un premier jet ». L’écriture, c’est son exutoire, son moyen de fuir le réel. La fuite, c’est d’ailleurs un thème qui le fascine, par son actualité mais aussi par sa relative absence dans la littérature. « Les gens sont de plus en plus dans la fuite : la fuite temporelle, géographique, littéraire, l’alcool. Il y a de plus en plus de moyens de le faire. Pour ma part, c’est l’écriture qui m’a permis de m’enfuir quand j’ai commencé à travailler. C’est dans l’isolement que j’arrive à comprendre le monde ».
L’isolement, il le craint, sera encore renforcé par la crise sanitaire. « Il me semble que quelque chose de plus grave et de plus profond que l’épidémie est en train d’arriver ». Désormais banquier à temps partiel pour assurer l’exorbitant train de vie d’une famille à Sydney, Olivier a trouvé un meilleur équilibre entre les chiffres et les lettres. Loin de ressentir l’angoisse de la page blanche, il craint au contraire de manquer de temps. Alors, il écrit frénétiquement, poussé par cette idée qu’un auteur doit être porteur d’un engagement et se placer comme miroir de la société.
Il nous confie d’ailleurs travailler sur un nouveau roman d’amour, dans lequel il interroge la façon dont Internet accélère des pathologies déjà existantes, au lieu de leur donner naissance. Un sujet qui a toutes ses chances de nourrir ses ambitions d’écrivain, en révélant le lecteur à lui-même.
Elise Mesnard
Crédit photo de couverture: Site Internet des Editions Maïa
Pour en savoir plus sur Olivier Vojetta et son tout dernier roman, Courir encore, rendez-vous sur son site Internet, ici.
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